Roger Tibbart - Souffleur de vers

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Le super bol

Deux potiers chinois
Taï et Maï
En bas de chez moi
Se chamaillent

"Ce qui est à Taï
Est à Maï !..."
S'insurge l'asiatique
Très forte en répliques

Elle zappe la chaîne
Pour voir Kool Cheng
Chanter dans l'émission
"Du rire et des citrons"

Un coup de fil
Les interrompt
Lui, si tranquille,
Se lève d'un bond

C'est Pol Pote
Son meilleur ami
Qui pète et qui rote
A trop manger d'riz

"Tu es en finale
De fous de bols !!!!
On part demain
En pays Tonkin..."

Roger Tibbart ©

Journée banale

Je regarde
Chier les moineaux
Quand se farde
Un jour nouveau

Tu es si belle
Dans ta robe
En dentelle
Vendue chez Promod

Oh dis, te souviens-tu ?
Des bouquets de primevères
Que moi, tout courbatu
Je te cueillais l'hiver

La cheminée crépite
Et te voilà muette
Au bord de la cuite
Complètement pompette

Viens,
Mon slip a la bougeotte
Viens,
Regarde comme tu grelottes

Roger Tibbart ©

Ouessant

Les vagues se brisent
En paroles incomprises
Des oiseaux suspendus
Portés par la brise
N'ont-ils jamais connu
Que cette île, sombre et grise

Ouessant, veuve maudite
Tes enfants de granit
S'écroulent dans la mer
Pétrifiés par l'enfer

Les âmes de marins
Se perdent en crachins
Quand se lève, posthume
Des linceuls de brume

Les esprits vagabonds
Mélangés à la terre
Dans les champs moribonds
Noient les chemins de pierres

Les sanglots font naufrage
Sur les mornes rivages
Bercés par la violence
Des tempêtes, des silences

Il court, le mal tout entier
Sur les landes stériles
Il court, l'ange sans pitié
Dans le temps hémophile

Laissant des plaies nuisibles
A ceux qui te courtisent
La nuit, des cris horribles
Annoncent une mort promise

Roger Tibbart ©

 

 

Fioul sentimental

Mon cœur tourne au fioul
Au pétrole, à l'essence
Parfois il coule
Blessures d'adolescence

Une fille jeunette
A craqué l'allumette
Pour le faire flamber
Juste le temps d'un baiser

Mon petit moteur
Commence à fatiguer
A cause des menteurs
Des paroles tronquées

Bientôt plus assez riche
Pour un petit baril
Faut-il que je triche ?
En rajoutant de l'huile

La panne des sens
Semble toute proche
Je perds connaissance
Aussi froid qu'une roche

Roger Tibbart (c)

#Balance ton port

C'est l'odeur du poisson
Qui vous saisit d'abord
Comme une punition
Elle sent vraiment très fort

Les goélands indélicats
Bombardent les passants
Des voitures garées là
Sont repeintes tout en blanc

La vue est magnifique
Au bout d'une petite crique
Les bouches d’égouts déversent
Des eaux sales diverses

Les rares bateaux échoués
Pourrissent dans la vase
Dans leurs coques trouées
Des longs vers se croisent

A marée haute
Baignade autorisée
N'oubliez pas vos bottes
Au risque de vous couper

Roger Tibbart (c)

Usé par la Meuse

La Meuse
Ne m'amuse plus
La Meuse
Ce coin perdu

Les vaches broutent
Au bord de la route
Y'a rien à foutre
Surtout au mois d'août

La Meuse
De chez mémé
La Meuse
Peux-tu m'aimer ?

J'ai trouvé un obus
Dans le fond du jardin
Les carottes ne poussent plus
A côté des lupins

La Meuse
Me mange
La Meuse
Dérange

Il y a bien un poète
Qui est passé par là
J'ai sa photo en tête
Oui, c'est Rimbaud je crois...

Roger Tibbart (c)

Mariage blanc

Il voulait des papiers
Elle voulait prendre son pied
Le maire ferme les yeux
La mère lui dit adieu

Les ressorts du lit
Font beaucoup trop de bruit
Le pauvre voisinage
En profite, c'est dommage !...

Le jeune couple respectable
S'entraîne sur la table
Dans toutes les positions
Jusqu'à la reddition

Le boudin de Thionville
Attend une petite fille
Le grand black s'est enfui
Du côté de Manille

Roger Tibbart (c)

Toasts

A la fête des écoles
On s'affaire en cuisine
Un peu de guacamole
S'étale sur des tartines

A l'automne de sa vie
Une femme sans histoire
Voit cet homme qui sourit
Dans un petit couloir

Les voilà tous les deux
A discuter ensemble
Lui, sagement nerveux
Et elle dont la main tremble

Se rapproche son parfum
La cambrure de ses reins
Peuvent lui faire oublier
Le nombre des années

Un baiser dans le coup
La comblerait d'amour
Mais son regard si doux
Ravive une blessure

Roger TIBBART ©

Adieu jolis bonsaïs

Dans un décor trop zen
Assise à ton bureau
Commence la semaine
En y allant mollo

Tu écoutes des heures
Les pauvres chômeurs
Pas facile de suivre
Ton esprit dérive

Des piles de papier
S'entassent partout
Il faudrait ranger
ça vaut-il le coup ?

Toujours interrompue
Par ta brune collègue
Qui vient de boire son jus
Les yeux un peu espiègles

Le contrat se termine
Tu as une drôle de mine
Les bonsaïs miniatures
Finiront aux ordures

Roger TIBBART ©

Feuilles d'herbe

Commerçant heureux
Mon oncle Whitman
Fait beaucoup d’envieux
Au Nord de Paname

Ses cultures indoor
Ramènent des clients
Qui attendent dehors
Même par mauvais temps

Les climatiseurs
Sont dévalisés
Les lampes de couleurs
Partent sans hésiter

On tolère la fumette
Dans l’arrière-boutique
Tout le monde fait risette
C’est vraiment sympathique

Parfois mon tonton
Se met à écrire
Des poèmes à la con
Qui ne veulent rien dire

Roger TIBBART ©